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Burundi | Un pays pris en otage par le pouvoir du parti CNDD-FDD
Déclaration  Posté le 07:34 26-04-2024, modifié le 07:34 26-04-2024 par Tournons La Page

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Les organisations signataires de la présente déclaration commémorent la journée tragique du 26 avril 2015 dans l’histoire socio-politique du Burundi. Ce jour, le pouvoir du parti du Conseil National pour la Défense de la Démocratie – Forces de Défense de la Démocratie (CNDD-FDD) a exercé une répression sanglante à l’endroit des manifestants qui demandaient la légalité constitutionnelle et le respect de l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi.

Les Burundais se rappellent des milliers de citoyens qui, après deux mandats consécutifs du feu Président Pierre Nkurunziza, descendirent dans la rue après l’annonce de sa candidature par le parti CNDD-FDD aux présidentielles de 2015, il allait briguer un troisième mandat en violation fragrante de la Constitution et de l’Accord d’Arusha.

S’en est suivi une sanglante répression contre toute forme d’opposition. De nombreux citoyens, opposants politiques, membres d’organisations de la société civile et des médias y ont laissé la vie, les agences de presse indépendantes ont été vandalisés, les organisations de la société civile suspendues ou radiées… Cela a conduit des milliers de burundaises et de burundais à l’exil et à une paupérisation grandissante pour ceux qui sont restés au pays, conséquences de la crise politique de 2015 qui n’est pas encore résolue.

À l’occasion du 9ème anniversaire du début des manifestations pacifiques du 26 avril 2015 contre le troisième mandat de feu Président Pierre Nkurunziza, il convient de rappeler les grands développements du contexte qui ont caractérisé cette mobilisation citoyenne, pendant et après sur divers plans.

Sur le plan politico-sécuritaire, des milliers de Burundais sont descendus dans la rue pour protester pacifiquement contre cette violation de la Constitution et d’Accord d’Arusha. Ces derniers ont été pris pour cible de tirs à balles réelles par une partie des forces de sécurité opérant conjointement avec la milice Imbonerakure, affiliée au parti CNDD-FDD. L’un des cas les plus emblématiques fut celui de Jean Népomuscène Komezamahoro, un jeune homme de 16 ans, première victime tuée à bout portant par un policier d’une balle dans la tête, le 26 avril 2015 alors qu’il était à genoux sur l’avenue Buconyori, dans le quartier de Ngagara en Mairie de Bujumbura, le suppliant de lui laisser la vie.

D’après l’ONU, les représailles en marge du 3ème mandat controversé de Pierre Nkurunziza ont fait 1200 morts et plus de 250.000 réfugiés burundais qui restent pour beaucoup en exil par crainte de représailles exercées contre les opposants ou assimilés opposants au régime du CNDD-FDD[1].

Les organisations de la Société Civile signataires, rendent hommage à ces martyrs et expriment leur solidarité et sympathie aux familles des victimes (tués, disparus, incarcérés) et des centaines de milliers des exilés qui croupissent dans les camps de réfugiés, sans oublier les déplacés internes régulièrement cible d’actes de persécution variés. C’est le cas également des militants des droits humains, des opposants et des militaires ex-Forces Armées Burundaises (FAB) victimes d’arrestations, de disparitions forcées et d’emprisonnements illégaux orchestrés par le pouvoir en place.

Sur le plan politico-légal, le pouvoir CNDD-FDD a créé un cadre légal orchestrant un rétrécissement généralisé de l’espace public et avec lui, un grave recul démocratique. Citons à titre d’exemples :

  • La loi No 1/02 du 27 janvier 2017 portant cadre organique des Associations Sans But Lucratif (ASBL)[2],
  • La promulgation de la Constitution du 07 juin 2018 dite « référendaire » pour permettre aux candidats du CNDD-FDD de briguer deux autres mandats supplémentaires de sept ans chacun et d’enterrer définitivement l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation.

Cela accompagnés de discours de haine et d’une intolérance politique grandissante qui s’observent depuis 2015 et sont véhiculés par les militants et les hauts cadres du pays[3]. Depuis 2016, plus d’une dizaine d’organisations de la société civile ont été radiées ou suspendues sur simple décision du ministre de l’intérieur.

L’appareil judiciaire burundais est devenu un instrument de répression politique pour traquer, intimider et faire taire toute voix discordante aux manigances du CNDD-FDD. Des chefs d’accusation plus graves restent notamment « l’Atteinte à la Sécurité Intérieur de l’État et la Rébellion » et sont les plus usités notamment dans les jugements illégaux des opposants du pouvoir en place et des activistes des droits humains. Cela a abouti à la condamnation par défaut, à plus d’une trentaine d’opposants et défenseurs des droits humains, à la servitude pénale à perpétuité.

Face à ces développements préoccupants, en mai 2015, le forum des organisations de la société civile au niveau de la sous-région, EACSOF a saisi la Cour de Justice de la communauté Est-Africaine pour invalider le troisième mandat inconstitutionnel de Pierre Nkurunziza.

Son verdict rendu en septembre 2022 est clair : « le dernier Mandat controversé de feu président Pierre Nkurunziza (2015 à 2020) était illégal et viole le contenu de l’Accord d’Arusha ». Elle a alors condamné la cour constitutionnelle Burundaise pour avoir pris un Arrêt autorisant un « mandat illégal ». Malgré cela, aucun changement n’est advenu jusqu’alors.

Cette décision de la Cour Régionale obtenue après 6 ans de bataille judiciaire est venue rétablir la vérité juridique et historique. Elle a reconnu la légitimité de la lutte pour la légalité constitutionnelle enclenchée en date du 26 avril 2015 par les forces vives de la nation, dans une unité légendaire."

Sur le plan diplomatique, le Burundi a adopté une politique agressive à l’endroit de certains partenaires du Burundi et de certains pays depuis 2015. Ainsi, des manifestations injurieuses ont été organisées contre l’Union Européenne, principal donateur du Burundi, la Belgique, ancien pays colonisateur du Burundi et du Rwanda, pays voisin du Burundi. Les frontières entre les deux voisins sont d’ailleurs fermées depuis le 11 janvier 2024. La fermeture des frontières avec le Rwanda pour la deuxième fois depuis janvier 2024 constitue une atteinte grave à la liberté de circulation des biens, des personnes et des services au sein de la région de l’EAC.

Elle renforce la pauvreté des familles vivant des échanges transfrontaliers et cause d’énormes pertes pour les commerçants et transporteurs. À l’occasion de la commémoration du 9eme anniversaire des manifestations pour la légalité, la démocratie et du respect du principe de limitation des mandats au Burundi, la présente déclaration est de nature à porter à la connaissance de la communauté nationale et internationale les conséquences de la violation de la Constitution du Burundi de 2005 et de l’Accord d’Arusha pour la paix et la réconciliation au Burundi orchestrée par le pouvoir du parti CNDD-FDD.

Les organisations signataires de la présente déclaration constatent avec regret que l’espace civique se rétrécit davantage, une autre négation de la démocratie pluraliste conduisant vers un monopartisme recel. L’exemple le plus récent est celui du pseudo-congrès du Congrès National pour la Liberté (CNL) organisé sous les auspices du Ministère de l’intérieur et de la sécurité publique qui n’avait d’autre objectif qu’éjecter l’honorable Rwasa Agathon à la tête dudit parti, représentant la deuxième force politique du pays.

Les organisations de la société civile signataires, réitèrent leur engagement à poursuivre la lutte contre l’impunité et les atrocités en cours en continuant à surveiller, documenter, dénoncer et plaider pour tous les cas de violations des droits humains au Burundi ainsi que l’impunité grandissante contre les auteurs de diverses exactions.

Les organisations signataires appellent les Nations unies, l’Union Africaine, les différents pays et les organisations partenaires du Burundi à continuer à suivre de près la situation volatile qui prévaut au Burundi et dans la région afin d’aider à trouver une issue durable à la crise qui persiste.

Les organisations de la société civile signataires demandent aux États de l’East African Community et de sa Cour de Justice à user de leur pouvoir pour contraindre le pouvoir de Gitega à l’arrêt immédiat des violations des droits humains et asseoir la paix et la stabilité, gages de démocratie, dans la région.

Signée le 26 avril 2024


Les organisations signataires :

  1. Action des Chrétiens pour l’abolition de la torture au Burundi (ACAT Burundi)
  2. Association des Journalistes Burundais en Exil (AJBE)
  3. Association burundaise pour la protection des droits de l’homme et des personnes détenues (APRODH)
  4. Coalition Burundaise des Défenseurs des Droits Humains (CBDDH)
  5. Coalition burundaise des défenseurs des droits de l’homme vivant dans les camps des réfugiés (CBDH/VICAR)
  6. Coalition Burundaise pour la Cour Pénale Internationale (CB-CPI)
  7. Coalition de la société civile pour le monitoring électoral (COSOME)
  8. Collectif des Avocats pour la défense des Victimes de crimes de droit international commis au Burundi (CAVIB)
  9. Ensemble pour le soutien des défenseurs des droits humains en danger (ESDDH)
  10. Forum pour la Conscience et de Développement (FOCODE)
  11. Forum pour le Renforcement de la société civile au Burundi (FORSC)
  12. Light for all
  13. Ligue ITEKA
  14. Mouvement INAMAHORO
  15. Mouvement des femmes et filles pour la paix et la sécurité au Burundi (MFFPS)
  16. Réseau des Citoyens Probes (RCP)
  17. SOS Torture Burundi (SOS-TB)
  18. Tournons La Page Burundi (TLP-Burundi)
  19. Tournons La Page International
  20. Union Burundaise des Journalistes (UBJ)

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Photo : Des policiers burundais pourchassent des manifestants qui protestent contre un 3e mandat du président Pierre Nkurunziza, vendredi 17 avril 2015. | Auteur : VOA | Source